17 août 2016
Il y a eu beaucoup de débats autour des voix et des paroles jusque-là à l’Université. Cela a changé le cinquième jour quand le producteur, remixeur et claviste électronique anglais Neil Fraser, alias Mad Professor, a lancé la question de l’art et de la science du dub. La session a été administrée par l’auteur et intervenant régulier David Katz, qui connaît Mr Fraser depuis des années. Le Professeur, qui déplace des foules entières, a expliqué comment il en est venu à s’intéresser à l’électronique dès son enfance en Guyane anglaise (« pas un pays sud-américain comme les autres parce-que nous sommes des africains »). Sa mère l’a grondé quand elle s’est rendue compte qu’il avait abîmé l’arrière de la radio “en cherchant où vivait l’homme qui parle ». A l’âge de huit ans, il avait assemblé sa propre radio et dès l’adolescence, quand il est allé habiter à Londres avec son père, il fabriquait des tables de mixage. Le son distinct de son label Ariwa « venait de la table que j’avais fabriquée avec des composants maison et égalisée d’une certaine manière convenant à mes oreilles étranges ».
Au grand désespoir de sa belle-mère, il a monté un studio dans la plus grande pièce de sa maison de Thornton Heath, au Sud-Est de Londres. Il a enregistré des groupes locaux de tout genre et a petit à petit commencé à attirer le reggae anglais, avec Matumbi par exemple, rendant visite à des chanteurs jamaïcains de l’ampleur de Johnny Clarke. “A l’époque, tout le monde voulait que ça sonne à la manière du studio jamaïcain dominant Channel One. Personne ne croyait au son anglais. On a commencé avec des gens de la rue pour être mieux acceptés et on avait un sacré son rebelle ».
Au même moment, il supportait les femmes artistes et le bourgeonnement de la scène lovers rock. « Le lovers rock était compris par les fans de roots. C’est seulement quand vous écoutez Waiting In Vain ou No Woman No Cry que vous comprenez que même les combattants pour la liberté ont besoin de temps pour aimer. J’ai toujours adoré la soul. Sur mon iPod, vous trouverez des chansons rebelles et des chansons douces. J’aime faire du lovers à la limite du rebelle ».
L’un de ses plus fiers moments a été quand il a enregistré son héros, le deejay U Roy, après l’avoir rencontré au cours d’une tournée aux Etats-Unis, durant laquelle il a aussi rencontré et collaboré avec les Beastie Boys. U Roy était sceptique au début mais a accepté d’enregistrer True Born African avec la chanteuse anglaise Sister Audrey.
La co-intervenante Ellen Koehlings de Riddim mag a posé une question sur l’intérêt de la dub dans le contexte du mouvement new reggae en Jamaïque. Fraser a répondu qu’il était régulièrement en contact avec Jah9, Protoje et Chronixx. Il a ajouté que « l’intérêt venait principalement des classes moyennes éduquées. Le marché ghetto en Jamaïque n’est pas plus interessé par la dub qu’il y a 15 ans. Avant, la dub était ghetto. Les danses à Tooting et Wandsworth étaient tellement folles que les noirs ordinaires n’y allaient pas, ils laissaient la place aux blancs seulement ».
Il a choisi ses mots quand il a parlé de l’autre excentrique du reggae Lee Scratch Perry, avec qui il a travaillé à de nombreuses reprises. « Certains disent qu’il est un génie, certains disent que c’est un déchet, mais il a très certainement quelque-chose. Ca peut être l’obeah, ou ça peut être du talent ! ».
La session aurait pu être intitulée My Computer’s Acting Strange (en référence à son album de 1986) mais le Professeur n’est pas un grand fan d’ordinateurs pour produire. “Avec un ordinateur, vous n’êtes qu’un homme », a-t-il déclaré. « Peu importe le talent que vous avez, vous devez échanger des idées avec d’autres musiciens ».
Angus Taylor
Traduit de l’espagnol par Sylia Amrarene
Benicassim, 17/08/2016. My computer’s acting strange – Mad Professor (Reggae University Camp). Photo by: Luca Sgamellotti © Rototom Sunsplash 2016.